Le cisaillement d’une Onde de Densité de Charge finalement cartographié par rayons X

L’équipe LUTECE du LPS vient d’observer le cisaillement d’une onde de densité de charge sous l’effet d’un courant électrique par diffraction X à balayage. Une onde de densité de charge est un état qui apparait dans certains cristaux et qui correspond à une modulation périodique de la densité électronique accompagnée d’une distorsion périodique du réseau d’atomes. Cette onde a la faculté de pouvoir glisser à travers le cristal. Dans les années 80, J. Friedel et D. Feinberg avaient même prédit que cette onde devait se cisailler, se courber sous l’effet d’un courant électrique 1. Cet effet n’avait pourtant jamais été observé auparavant parce que la déformation s’étend continument sur de trop grandes distances. Cette déformation joue pourtant un rôle fondamental puisqu’elle est à l’origine de la nucléation de solitons (des défauts ponctuels) qui, une fois en mouvement, créent une forme très stable de courant électrique.

Figure 1 : L’apparition d’une Onde de Densité de charge dans les cristaux se caractérise par une modulation périodique des positions atomiques et de la densité électronique au niveau de Fermi avec la même période

Observer finement un réseau d’atomes sur de grandes distances a toujours été une difficulté expérimentale en matière condensée. Observer la déformation d’une onde de densité de charge nécessite de cartographier un objet d’une dizaine d’angströms de période sur plus de dix microns, soit sur plus de 4 ordres de grandeur. Pour le faire, les chercheurs ont utilisé un faisceau X très focalisé produit à partir de la source synchrotron de l’ESRF à Grenoble. Ils ont balayé rapidement et continument la surface de l’échantillon avec un faisceau de 300 nm de diamètre.

L’équipe s’est intéressée au système NbSe3. Ceci présente des propriétés de transport exceptionnelles liées à la dynamique de l’onde de densité de charge. L’échantillon a été soumis à un courant électrique et préparé de telle sorte que le courant ne puisse s’établir que dans sa partie supérieure grâce à une ligne de coupe réalisée au FIB (une technique de découpage par faisceau ionique). La déformation de l’onde dans les trois dimensions de l’espace a pu être mesurée, avec et sans courant. La phase de l’onde a été obtenue à partir du cliché de diffraction par une méthode de reconstruction dite de gradient de phase.

Comme pressenti, les fronts d’onde se courbent sous l’effet du courant, la courbure augmente avec l’augmentation du courant et s’inverse lors de l’inversion du sens du courant. Cependant, l’amplitude de la déformation étonne par son importance, atteignant 20 périodes au centre de l’échantillon. Mais la plus grande surprise provient de la cohérence du phénomène. La déformation reste continue d’un bord à l’autre de l’échantillon sur plus de 40µm. Malgré la présence de nombreux défauts, l’onde garde sa cohérence sur plus de 20000 fois sa longueur d’onde. Le piégeage de l’onde dans le volume de l’échantillon est donc négligeable. Contrairement à une idée établie, les propriétés électroniques de NbSe3 sont essentiellement pilotées par des effets de surface et non par un piégeage de volume, les points d’ancrage de l’onde sur les deux bords restant remarquablement stables quel que soit le courant appliqué 2,3.

Références

[1] D. Feinberg et J. Friedel, J. Phys. France 49, 485-496 (1988)

[2] Evidence of charge density wave transverse pinning by x-ray microdiffraction
E. Bellec, I. Gonzalez-Vallejo, V. L. R. Jacques, A. A. Sinchenko, A. P. Orlov, P. Monceau, S. J. Leake, and D. Le Bolloc’h
Phys. Rev. B 101, 125122 (2020)
doi: 10.1103/PhysRevB.101.125122
arXiv:1905.03499
PHD E. Bellec (Dec 2019)

[3] The essential role of surface pinning in the dynamics of charge density waves submitted to external dc fields
E. Bellec, V. L. R. Jacques, J. Caillaux, D. Le Bolloc’h
Eur. Phys. J. B 93, 165 (2020)
doi:10.1140/epjb/e2020-10211-6
arXiv:2006.08964

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